mercredi 21 janvier 2015

Excusez moi de vous demander pardon

Messieurs,

    Il est aujourd'hui admis que le terme Je m'excuse est une erreur grammaticale car l'on ne peut s'excuser soi-même. C'est la victime seule de notre erreur qui peut nous accorder son pardon.
 Or voici ce que dit Wikipédia concernant cette expression :
    "Une idée reçu fort répandue est que je m'excuse contreviendrait aux règles de la grammaire et partant, à celles de la politesse. Les adversaires de cette locution affirment qu'on ne dit pas je m'excuse, puisqu'on n' a pas à s'excuser soi-même, et que d'ailleurs personne ne dit je me pardonne à la place de pardonnez-moi.
Le verbe s'excuser existe au sens de "présenter ses excuses" (ex.: il s'excusa de sa maladresse) et est admis par les dictionnaires y compris ceux de l'Académie française*.
Tout juste peut-on dire que je m'excuse fait partie du registre le moins formel et que, en certaines circonstances, si l'on a un doute et qu'on ne craigne de passer pour impoli, et afin de lever toute ambiguïté, mieux vaut s'en tenir à excusez moi, veuillez m'excuser, etc."

    Ainsi je m'excuse ne signifie pas je me pardonne à moi-même, mais plutôt je vous présente mes excuses. Cependant afin de ne pas semer le doute chez notre interlocuteur et pour ne pas passer pour quelqu'un qui ne maîtrise pas la langue française, autant ne pas utiliser cette expression sujette à de mauvaises interprétations.
    Pour ma part, je ne dis pas je m'excuse, car je trouve cela malhabile (mais ce n'est pas une faute à proprement parler). Je préfère utiliser excusez-moi dans les situations où il n'y a pas faute, par exemple quand je dérange quelqu'un dans ses occupations mais que j'ai de bonnes raisons de le faire. Quand il y a faute, je préfère les formes avec "pardonner" notamment pardonnez-moi et je vous prie de me pardonner. Ces formes me paraissent avoir leur place dans le langage courant et elles sont loin d'être obséquieuses, elles montrent simplement une sincérité dans l'excuse.
    On ne peut demander pardon sans humilité. J'aime autant m'abstenir que de faire semblant de m'excuser. Car c'est bien là le nœud du problème ! C'est la sincérité et l'humilité de nos excuses envers une personne que nous aurions blessée ou mis à mal. D'où l’ambiguïté de ce terme je m'excuse qui ne laisse supposer à notre interlocuteur aucune sincérité. 
   
    Les je vous prie d'accepter mes excuses ou je vous présente mes excuses mettent l'accent sur l'humilité, la subordination, voir la soumission dont nous faisons preuve. Est-ce une marque de faiblesse ?
    Il est facile de mettre son orgueil à la première place et de ne pas se présenter en position d'infériorité (la société nous pousse quotidiennement dans ce sens). Mais c'est faire preuve d'une grande force morale et de courage que d'admettre son erreur et d'attendre le pardon de l'autre. C'est là une preuve de sagesse et de maîtrise de soi. Force morale, courage, sagesse, maitrise de soi ne sont-ce pas là les attributs spécifiques du gentleman alors que l'orgueil est celui du premier venu ?
Ce n'est donc pas de la faiblesse que de demander pardon, mais bien au contraire une force, et une force qui saura être remarquée positivement.


    Si l'on voulait faire une sorte de hiérarchisation des variantes, en fonction des registres de langages, voici ce que l'on pourrai avoir :

Langage soutenu:
    "Je vous prie de bien vouloir m'excusez" (formel, administratif)
    "Je vous prie d'accepter mes excuses" (formel, également)
   "Je vous présente mes excuses" (l'accent est mis, nous l'avons dit, sur l'humilité, la subordination voir la soumission)
    "Je vous prie de m'excuser" et "Je vous demande pardon"
    "Veuillez m'excuser" 
  "Toutes mes excuses" (presque du langage courant, mais difficile à classer car le sens est légèrement différent)

Langage courant:
    "Excusez-moi"
    "Je m'excuse" (dans le sens ou s'excuser signifie : je vous présente mes excuses et non pas je me pardonne)

Revenons sur quelques unes de ces expressions :
 Je m'excuse, Excusez moi : il me semble qu'utiliser l'impératif (que l'on utilise pour donner un ordre comme : je vous ordonne de m'excuser !) est tout aussi mal venu que de s'excuser soi-même (je ne vous demande pas votre avis, je me pardonne mon erreur).

Le seul moyen de se faire pardonner est bien d'obtenir le pardon de la personne offensée ! En fait, si Veuillez m'excuser semble plus sympathique, moins formel ou plus dans l'air du temps, le verbe vouloir reste à l'impératif : je vous ordonne de vouloir me pardonner.

Je vous demande pardon est une formule que l'on peut qualifier d'acceptable. Elle n'impose rien mais place le fautif en position de demandeur.
Dans la même veine, nous trouvons je vous prie de m'excuser qui ici introduit une  notion plus importante d'humilité car la demande devient prière.

Les je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, et je vous prie de bien vouloir m'excuser sont très beaux, mais relèvent peut être d'un temps révolu. Les amener dans une conversation lèverait une certaine suspicion chez votre interlocuteur quand à votre sincérité. Ce sont pourtant les plus belles tournures. Si vous pouvez les utiliser sans pour autant passer pour un flatteur, ne vous en priver pas !

    En conclusion, n'oublions pas le but de la demande de pardon : chercher la réconciliation, le regain de confiance ou un nouveau départ. Quoiqu'il en soit, le plus simple des hommes saura reconnaitre si votre demande, enrobée ou pas, est sincère... et elle devrait l'être.

   



Dirnelli par Cifonelli.

mercredi 14 janvier 2015

Sir Noël Coward

Messieurs,
    
    Il est, semble-t-il, une coutume dans tous les blogs qui s’intéressent de près à la mode classique masculine. Cette coutume consiste à rédiger un article sur un homme considéré par le milieu comme un véritable gentleman. Chacun y va de sa star, la plus représentée étant Steeve McQueen, ou pour les plus chauvins d'entre nous, Philippe Noiret. Puisque tout a été écrit sur ces hommes et que d'autres continueront à le faire, en voulant sacrifier à cette tradition, j'ai choisi un personnage que j'ai découvert par les photos du site voxsartoria.com. Il me paraissait toujours très élégant et chic. En faisant des recherches plus approfondies, je me suis rendu compte qu'effectivement, il était non seulement gentleman par l'apparence, mais aussi et surtout par le fond. Je me suis donc attaché à lui, ai fait sa connaissance, et aujourd'hui, j'aimerai vous le présenter.
Il s'agit de Sir Noël Coward.
Inconnu en France, il est, vous allez le constater, le Sacha Guitry britannique.




    Cet homme dont le nom signifie “ poltron ”, fut un des créateurs les plus complets du XXe siècle : auteur dramatique, compositeur, chanteur, acteur, réalisateur. Pendant la guerre, il produisit quatre des films culte du cinéma anglais : In Which We Serve (Ceux qui servent en mer), This Happy Breed (Heureux mortels), Blithe Spirit (L’esprit s’amuse), Brief Encounter (Brève rencontre), et réalisa les deux premiers. S’il fallait trouver en France une personnalité artistique de sa surface et de son génie, on pourrait aller chercher du côté de Sacha Guitry, l’orientation sexuelle en moins (Coward, j’y reviendrai, était homosexuel), mais avec les mêmes idées politiques : à droite comme il faut. Comme chez Guitry, il y avait en lui de la grâce, une très grande assurance, un réel m’as-tu-vu, une bonne dose de snobisme et un sens profond de la provocation bien tempérée.
 
     Né en 1899 dans les classes moyennes dédorées, il fréquente jeune homme la haute société, le seul milieu qu’il connaîtra réellement bien et où il situera la plupart de ses pièces. Il jouira d’un succès ininterrompu jusqu’à sa mort en 1973. Nombre de ses pièces sont toujours jouées partout en Grande-Bretagne, par des troupes d’amateurs ou de professionnels. Des centaines de ses chansons sont toujours fredonnées. Tout comme sont lus et relus ses ouvrages de poésie, de nouvelles, son roman Pomp and Circumstance et son autobiographie en trois volumes.
 
     Comme tout bon Anglais qui se respecte, Coward travailla pour les services secrets de son pays au début de la Deuxième Guerre mondiale, usant de son influence auprès des États-Unis pour que ceux-ci rejoignent le théâtre des opérations le plus vite possible. Il fut anobli en 1969.
 
  Malgré la libération des mœurs dans les années soixante, Coward ne reconnut jamais son homosexualité (il écrivit dans son autobiographie : « Il y a encore à Worthing quelques vieilles ladies qui ne sont pas au courant »), s’affichant ostensiblement en compagnie de femmes flamboyantes, comme Marlene Dietrich, avec qui il entretint une amitié amoureuse de plusieurs dizaines d’années. Il aima pendant trente ans l’acteur Graham Payne, mais aussi le musicien américain Ned Rorem qui, lui, n’hésita pas à évoquer ses relations avec Coward ainsi qu’avec d’autres grands compositeurs classiques comme Leonard Bernstein ou Samuel Barber. Coward entretint également des relations très proches avec un des fils du roi Georges V, le duc de Kent George Edward Alexender Edmund, bisexuel revendiqué, amant entre autres, de Barbara Cartland. Lorsque le duc mourut, Coward déclara : « J’ai soudain compris que je l’aimais plus que je ne croyais. » Le célèbre critique de théâtre Kenneth Tynan (un homme au physique épicène porté sur les relations sado-masos) le qualifia en 1953 de « célibataire invétéré ».
 

  Tout comme Guitry, Coward fut un élève médiocre, mais un parfait autodidacte, d’autant qu’il ne bénéficia pas de l’extraordinaire milieu culturel et artistique que connut le Français. Sa mère le poussa sur les planches si bien qu’il se retrouva sur la scène du Garrick Theatre à l’âge de 12 ans. Il joua dans Peter Pan à l’âge de 14 ans (le chef d’œuvre de James Barrie avait été tout récemment adapté pour le théâtre) et il créa le rôle principal de la pièce pour enfants Where the Rainbows End en 1915.
 
1940



 Coward se produisit sur diverses scènes durant la Première Guerre mondiale. En 1918, il rejoignit un régiment d’artistes mais fut réformé pour cause de tuberculose latente. Il publia des nouvelles, divers articles et écrivit sa première pièce à l’âge de 18 ans. En 1920, sa pièce I’ll Leave it to You reçut un accueil très favorable de la presse nationale. Il joua également les classiques (Le Chevalier au pilon ardent de Beaumont et Fletcher). En 1923, il connut son premier grand succès avec The Young Idea. Ses bons mots firent alors le tour de Londres sous le nom de Noëlismes. En 1924, il rencontra son premier vrai succès de scandale avec la pièce The Vortex qui mettait en scène une nymphomane et son fils drogué. À cette occasion, Coward fit la connaissance de l’agent de change américain Jack Wilson qui deviendra son homme d’affaires et son amant. L’amour étant aveugle, Coward accepta de se laisser plumer par ce businessman véreux et alcoolique. Suivirent  d’autres succès, en particulier Hay Fever (adapté en français sous le titre Week End). En 1925, quatre pièces de l’auteur étaient simultanément à l’affiche dans les beaux quartiers de Londres.
 
  Avec Coward, nous sommes loin de Brecht. Ses pièces nous montrent des belles-mères en conflit avec leurs gendres snobinards, de l’union libre chez les riches, des aristos adultères. En 1929, Coward est l’un des auteurs les plus riches au monde avec un revenu annuel de 50 000 livres. Alors que la crise frappe le pays, tout ce qu’il touche devient or : Bitter Sweet, une comédie musicale qui montre les coucheries d’une jeune femme avec son professeur de musique, Cavalcade qui raconte la vie dans une famille de riches sur une période de trente ans. Dans Private Lives, il joue avec le jeune Laurence Olivier. Craignant que sa pièce Design for Living ne soit censurée (il y explore la bisexualité et le ménage à trois), il la fait jouer à New York.
 
  En 1933, il écrit pour Yvonne Printemps (qui disait que Sacha Guitry ne serait raide que quand il serait mort) l’opérette Conversation Piece qu’il monte et joue avec elle à New York et à Londres. Puis il adapte pour le théâtre une série de nouvelles, dont Still Life, qui deviendra Brève rencontre. Juste avant la guerre, il s’intéresse enfin à la classe ouvrière avec une pièce tragique, This Happy Breed (Cette joyeuse génération).
New York, 1947
 
http://www.dandyism.net/wp-content/uploads/2006/12/private-lives-2.jpg
Source: bernard-gensane.over-blog.com

 
  Pendant la guerre, il œuvre pour les services de renseignements. Le roi Georges VI souhaite le faire anoblir, mais Churchill refuse au prétexte que Coward a écopé d’une amende de 200 livres pour avoir enfreint les règles en matière de devises. Si l’Allemagne avait envahi la Grande-Bretagne, Coward eût été exécuté, son nom figurant sur le Livre noir des Nazis, au même titre que Virginia Woolf et Bertrand Russel. Pendant la guerre, à la demande de Churchill, il chanta partout où combattait l’armée britannique. Il écrivit et réalisa avec David Lean In Which We Serve (Ceux qui servent en mer), un des films les mieux réussis de la période de guerre. Coward y tenait le rôle principal. Tournée avec l’aide du ministère de l’Information, cette œuvre dramatique relatait le naufrage du contre-torpilleur HMS Kelly, commandé par Louis Mountbatten (oncle du futur duc d’Édimbourg, assassiné par l’IRA en 1979, et dont Coward était l’ami) lors de la Bataille de Crête.
 
  À partir de 1941, Coward connaît un immense succès avec sa pièce Blithe Spirit, une sombre histoire de spiritisme. La pièce sera jouée à Londres sans interruption pendant six ans, et deux ans à Broadway. David Lean l’adaptera au cinéma, avec Rex Harrison dans le rôle principal. En 1946, Coward écrit une pièce qui s’écarte de son inspiration ordinaire, Peace in Our Time. Il reprend, en la déformant quelque peu l’expression religieuse utilisée par Neville Chamberlain le jour de la signature des Accords de Munich, « Peace FOR our time ». Dans cette pièce, Coward imagine son pays occupé par l’Allemagne nazie.
 
  Les années cinquante seront tout aussi prolifiques pour Coward, mais il connaît un succès moindre. En revanche, durant les années soixante, il triomphe dans plusieurs pièces et comédies musicales, sans rien changer à son style désormais suranné. En 1966, avec A Song at Twilight, Coward met en scène, pour la première fois officiellement, son homosexualité. La pièce, qu’il joue avec Lilli Palmer connaît un succès considérable. Les Britanniques le considèrent désormais comme le plus grand dramaturge vivant outre-Manche.
 
  Il est anobli en 1969. Il meurt d’une crise cardiaque en 1973. Lors de la cérémonie religieuse dans St Martin-in-the-Fields, Gielgud et Olivier lisent quelques poèmes et Menuhin joue Bach. En 1984, la Reine Mère (son « ami », disait-elle) dévoile une stèle en son honneur dans le Coin des Poètes de l’abbaye de Westminster.



  

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  Sa vie durant, Coward aida financièrement de jeunes collègues dans le besoin; il présida l’Orphelinat des acteurs de 1964 à 1956. Sa générosité ne l’empêcha pas de quitter le Royaume-Uni dans les années cinquante pour des raisons fiscales. Il se fixa dans les Bermudes et en Suisse. D’autres célébrités anglaises suivront son exemple : David Niven, Richard Burton et Elizabeth Taylor, Julie Andrews et Blake Edwards, Ian Fleming et sa femme.
 
  Politiquement, il se situa dans le camp conservateur, tout en sachant se montrer critique vis-à-vis de certaines prises de position importantes. Il fut ainsi hostile à la politique d’apaisement de Chamberlain. Il fut naturellement contre tout engagement politique dans le théâtre. « Le théâtre est un lieu merveilleux, un palais d’étrange enchantement, le temple des illusions », disait-il, tout en déployant sa vision très conservatrice des choses dans This Happy Breed. Comme Sacha Guitry, il incarnait souvent sur scène des personnages accoutrés d’une robe de chambre à pois, un fume-cigarettes aux doigts. Il se décrivait alors comme un « Chinois décadent ravagé par la drogue ». Il aimait offrir au public l’image que le public avait de lui : « Je me la jouais comme un fou. Je faisais tout ce qu’on attendait de moi. Ça faisait partie du boulot. » Dans le milieu, on l’appelait “ Le Maître ”. Au départ, c’était une blague, et puis c’est devenu vrai. 
 
  Il parlait sur un rythme très saccadé parce que sa mère était à moitié sourde. Ce staccato lui permettait de se faire mieux comprendre et, accessoirement, d’éliminer le léger zozotement dont il était affecté.
 
  Lors du 70ème anniversaire de l’artiste, Lord Mountbatten lui rendit hommage en ces termes : « Il y a sûrement de plus grands peintres que Noël, de plus grands romanciers que Noël, de plus grands librettistes, de plus grands compositeurs, de plus grands chanteurs, de plus grands danseurs, de plus grands comédiens, de plus grands tragédiens, de plus grands producteurs, de plus grands metteurs en scène, de plus grands artistes de cabaret, de plus grandes vedettes de télévision. Si c’est le cas, il s’agit alors de quatorze personnes différentes. Un seul homme a pu regrouper ces quatorze différentes catégories – Le Maître. » Dans les années trente, un esprit aussi fin que Cyril Conolly sous-évalua gravement les dons de Coward. Il vit en ses pièces des œuvres « périssables », prêtes à « tourner » comme le lait en vingt-quatre heures. Il fallut attendre les années soixante pour que sa profondeur fût reconnue. Le Times le plaça au niveau de Sheridan, d’Oscar Wilde ou George-Bernard Shaw.
 
  Les Anglais fredonneront encore ses chansons dans cent ans. Paul McCartney l’a enregistré (“ A Room with a View ”), tout comme Sting, Elton John ou Joe Cocker.
 
  Son théâtre n’avait rien à voir avec le sien, et pourtant Harold Pinter (que Coward avait soutenu financièrement) fut un grand admirateur de son aîné. On a pu dire que le « bavardage elliptique » de l’auteur du Retour devait beaucoup aux « dialogues stylisés » de Coward.
 
  J’en viens pour finir à la chanson “ Mad Dogs and Englishmen ” ( Chanson qui est le titre d'un album de Joe Cocker en 1970). Pour qualifier leur patriotisme extrême, leur nationalisme débridé, la supériorité de leur race, les Anglais convaincus qu’ils sont les meilleurs ont forgé le mot jingoism. Avec cette chanson, nous y sommes en plein. Écrite en 1931, de tête, sans instrument de musique et même sans papier ni crayon, la chanson fut interprétée pour la première fois en public par la chanteuse canadienne Beatrice Lillie. La plupart des couplets commencent par « Mad dogs and Englishmen go out in the midday sun » (les chiens fous et les Anglais se promènent sous le soleil de midi), une phrase devenue aussi célèbre que « J’ai deux amours, mon pays et Paris » ou « C’est si bon ».
  La supériorité de l’homme blanc est évidente : les « indigènes sont chagrinés » de voir les Blancs quitter leur case en plein midi, l’Anglais ne craint pas les rayons ultraviolets, les Chinois n’osent pas sortir, les Japonais n’y pensent même pas, « les Hindous et les Argentins dorment profondément de midi à une heure ». Les Anglais sont « efféminés » mais « indifférents à la chaleur ». L’auteur fait le tour du monde, plus exactement celui d’un empire où le soleil ne se couchait jamais et où le colon est inébranlable. Mais « fou ». Car cette chanson, qui affirme une supériorité, laisse clairement entendre que le prix à payer pour régner sur le monde fut une forme d’aliénation. D’autant que la plupart des colons venaient des marges des Îles Britanniques : Galles, Écosse, Irlande.


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Sources: 
Article: Merci à M. Bernard Gensane pour ses recherches sur Coward, dont cet article est tiré.
Photos: sauf mention voxsartoria.com 

Fred Astaire

Fred Astaire par Steichen 1927. Source: voxsartoria.com

La chasse est ouverte! (partie 2)








    Cet article fait suite à celui du 13 novembre 2014, où nous abordions les différentes tenues qui conviennent pour la pratique de la chasse. Nous avions parlé veste (Norfolk entre autre) et pantalon (knickers), complets de chasse et chaussettes. 
Aujourd'hui nous allons compléter notre tenue par la chemise, la cravate, le couvre-chef et les chaussures.

La chemise:
    Messieurs, apprenez en premier lieu que l'on ne se rend pas à la chasse vêtu d'un tee-shirt ou bien d'un polo, mais bien d'une chemise, et cela pour deux raisons qui se valent chacune.
La première est esthétique. Vous l'aurez compris en lisant la première partie de cet article, la chasse se veut sportive mais aussi distinguée. Et quoi de plus élégant qu'une chemise? De plus celle-ci a un avantage incontestable sur le tee-shirt: elle tient plus chaud. 
C'est la deuxième raison. En effet grâce au col de celle-ci, absent chez le tee-shirt, votre nuque sera mieux protégée; et elle le sera d'autant plus en lui rajoutant ce petit bout de tissu que nous appelons cravate (d'où l'inutilité du polo). 
La chasse s'effectuant en automne et en hiver pendant les périodes froides, la chemise a cet avantage sur le polo et le tee-shirt, qu'elle possède des manches longues (certains tee-shirt aussi, je vous l'accorde). Là encore le confort est gagnant.
Il n'y a donc pas besoin d'argumenter plus avant, se sera donc une chemise. Un point c'est tout.
Oui mais quel genre de chemise? , quelle couleur et quels motifs?

    N'oublions pas une chose: nous sommes en mode sport et détente, ce qui permet une liberté que nous ne pourrions imaginer en milieu urbain. Il faut bien avouer aussi qu'il n'existe pas de code strict dans ce domaine. Néanmoins, il apparait évident que la couleur et les motifs devront s'accorder avec la tenue générale ainsi que la cravate.
Pour ce qui est des motifs, une chemise unie reste ce qu'il y a de plus sobre et de plus efficace, mais étant donné le côté loisir, pour ne pas dire rustique, de l'activité on peut avec beaucoup d'élégance porter des chemises à (petits) carreaux dit "Tattersall". Cela est du plus bel effet et très approprié dans ce milieu, c'est vraiment le motif qui prends toute sa dimension dans ce genre d'activité.
L'on croise très peu de chemises à rayure dans ce genre d'événement mais  si elles sont coordonnées avec la tenue ( brun, vert, voir à tendance violette), cela serait aussi de bon ton car s'accordant avec l'environnement.
Quelle couleur? Nous sommes dans la nature, et la sobriété des couleurs et leur discrétion (il s'agit de ne pas se faire remarquer) pourrait exclure le blanc. Or il n'en est rien; bien au contraire. Le blanc est la couleur des chemises. C'est d'ailleurs uniquement sur la chemise qu' on peut l'accepter. Oui mais le camouflage? L'hiver vous porterez le cran de votre veste relevé, avec un gilet, ou un pull, peut-être même une écharpe. Seul un petit triangle de blanc (cassé par la cravate) pourrait être visible. Ce n'est pas lui qui vous trahirai, mais plutôt votre odeur, ou les bruits de pas.
Une chemise blanche, unie ou Tattersall, est donc le compagnon idéal. Le blanc permettra de relever d'une touche plus claire l'ensemble de votre tenue.
Ceci dit, on peut imaginer une chemise dans les verts,  les bruns voir  les prunes (c'est le cas de votre serviteur) du plus bel agencement, attendu que l'ensemble, tenue-cravate, soit accordé.
Le côté loisir vous permettra de choisir une chemise col américain, c'est à dire avec des boutons. Ce sont des chemises moins formelles, et idéales pour cette occasion.
Vous pouvez laisser évidemment les boutons de manchettes à la maison.

Downtown Abbey


 La cravate:
    Qui dit chemise dit cravate. A première vue cet accessoire n'a rien à faire dans un tel environnement et serait à réserver pour un usage plus urbain et formel. Certes. Ceci dit s'il n'y avait qu'un argument en sa faveur , se serait que la cravate permet de justifier la fermeture du col de la chemise et ainsi de ne pas laisser l'air humide de la forêt s'engouffrer dans votre poitrine.
Il existe une catégorie de cravate dite "cravate de chasse" qui avec les couleurs de circonstances proposent des motifs d'animaux (bécasse volante, cerf ou canard, cheval, monté ou non), d'objets (fusil, trompe de chasse), ou de feuilles d'arbres. C'est évidemment le moment idéal pour la porter!
Pour la matière préférez une cravate en crochet de laine ou de soie, cela donnera plus de "twist" à votre tenue, même si la cravate en soie plus classique est appropriée. J'émets une réserve cependant sur les relations soie/pluie...

 
Notez le détail "crochet" de la cravate qui prends tout sons sens en cette circonstance


Le couvre-chef:
    Il est indispensable pour ne pas avoir une déperdition de chaleur trop importante. Il protégera aussi contre l'humidité et la pluie et surtout protégera votre tête de toutes les branches, ronces et autres épines que vous rencontrerez. Bref c'est un accessoire qui ne l'est pas (accessoire...)!
A mon sens deux couvre-chefs méritent leur place dans la panoplie du chasseur.
Le chapeau et la casquette.
Le chapeau peut être à bord large, il évitera ainsi, par exemple,  à une goutte tombée d'une branche, de perler dans votre nuque. Compte tenue de la broussaille prenez le en cuir il sera ainsi plus résistant et le temps lui donnera une belle patine.
Pour ma part, je ne suis pas chasseur, mais amoureux de la forêt, et j'utilise plutôt une casquette de type béret, en tweed, à motifs Gunclub (cf première partie de l'article du 13/11/2014). Je trouve, et ici il n'y a que l'aspect esthétique qui compte, que cela fait moins "grand seigneur" qu'un chapeau. La casquette donne un petit air plus écossais, ou plus rural, qui me convient parfaitement.
Quoiqu'il en soit un couvre-chef est indispensable pour le confort et terminera de manière chic et raffinée votre tenue.

Chemise blanche à carreaux, cravate, casquette: tout y est!






Voilà pour le haut de la tenue. Passons maintenant au bas de celle-ci. Attardons-nous sur les chaussures. Deux modèles auront votre préférence: 

Les chaussures dites "de chasse" et les bottes:
    Les chaussures de chasse sont destinées aux chasseurs les plus sportifs qui sautent, gravissent, franchissent, se déplacent sur de longues distances sur des terrains accidentés ou pas. Elles sont similaires aux chaussures de randonnée. Elles présentent en effet une tige haute, afin de prévenir les entorses et la fatigue du pied, une semelle d'un  grand confort, adaptée pour les longues heures de marche, une protection contre l'humidité et l'évacuation de celle-ci.
Ce sont des chaussures tout terrain faites pour cette exigence, elles n'ont rien à craindre.
Leur seul inconvénient, et il est majeur à mon sens, c'est que chaussé ainsi vous ne pourrez pas marcher dans les ornières remplies d'eau. Les terrains mouillés, spongieux voir carrément inondés ne sont pas fait pour elles. Face à une ornière en plein milieu d'un chemin, vous serez obligé de déviez votre route, ce qui en fin de journée n'est plus si plaisant que cela. 
C'est au contraire le point fort des bottes. Pour certains elles paraitront peut être plus rustique, mais ne vous y trompez pas, la plupart des grands fabricants ( et ils sont français: Le Chameau, Aigle) fabriquent aujourd'hui des bottes d'un grand confort de marche, d'une semelle agréable (similaire aux chaussures de randonnée et de chasse) et de très, très bonne facture. En plus les bottes d'aujourd'hui sont aussi étudiées pour leur design. Vous l'aurez compris, elles ont ma préférence! Le point négatif en ce qui les concernent, c'est l'évacuation de la transpiration qui est inexistante dû au caoutchouc, principal élément de la botte. Cependant d'autres matière en cuir respirant par exemple sont très efficaces.
Elle est le meilleur allié de tout cynégète! Elle protège très haut la jambe, quasiment jusqu'au genoux, ainsi les broussailles à cette hauteur ne ralentissent pas le pas. Cela est plus agréable que de ce faire accrocher le pantalon, lorsqu'on est chaussé de chaussures de chasse.
Un dernier point concernant les chaussures, elles montrerons rapidement leur limites dès que la pluie arrivera. On pourra ainsi leur associer une paire de guêtre, mais cela ne sera efficace que quelques instants.

Publicité Aigle. Source:aigle.fr   




Modèles Clare et Galway en cuir respirant, doublure Gore-Tex de Dubarry Of Ireland


vendredi 2 janvier 2015

The Gentleman par David CODY

Messieurs,


    Voici un texte d'un universitaire britannique qui donne quelques pistes pour comprendre ce qu'est un gentleman, et comment cette notion s'est développée à l'époque Victorienne.
Je ne peux que vous inviter à cliquer sur le lien ci dessous afin de lire le texte dans la langue de Shakespeare car je crains que ma traduction ne soit qu'approximative.


The Gentleman

    Au XIX° siècle, le concept de gentleman est un sujet complexe, s'il en est. Comme l'indique un critique moderne, "c'est le lien nécessaire à faire dans chaque analyse de la façon de penser et d'être de l'homme de l'époque victorienne." Cet homme lui-même n'était pas certain de ce qu'était un gentleman, de ce qui le caractérisait ou du temps qu'il fallait pour en devenir un. Pourquoi, alors, tant d'entre eux désiraient-ils tellement être reconnu comme tel ?

    Les membres de l'aristocratie britannique étaient gentlemen par droit de naissance ( alors que paradoxalement, cette naissance seule ne faisait pas d'un homme un gentleman) tandis que les industriels et les élites bourgeoises, face à l’opposition de l'aristocratie, essayèrent tant bien que mal d'être considérés comme gentlemen au regard de leur richesse et de leur influence grandissantes. D'autres - le clergé anglican, les officiers de l'armée, les membres du Parlement - étaient reconnus comme gentlemen au regard de leur position sociale, tandis que de nombreuses professions éminemment respectables, comme les ingénieurs par exemple, ne l'étaient pas.
Le concept du gentleman n'était pas seulement une distinction de classe ou une distinction sociale. C’était aussi une composante morale, inhérente à ce concept et qui créait une difficulté, une ambiguïté, pour les gens de cette époque qui essayaient de définir, malgré de nombreuses tentatives, un retour, au XIX° siècle, du code Chilvaric* dérivé du Moyen Age.
Sir Walter Scott défini ce concept du gentleman à plusieurs reprises dans son très influent Waverly Novels alors que le code du gentleman - et ses abus - apparait fréquemment dans la littérature victorienne. "L'essence d'un gentleman, écrira John Ruskin, c'est le langage, venant d'hommes purs et parfaitement élevés. Après cela, l'amabilité et la sympathie,  une inclinaison naturelle, et une bonne imagination." De plus, Ruskin soutient "qu'il est du devoir du gentleman de ne pas vivre comme les masses laborieuses", "même si beaucoup de gentlemen" le font quand même. Beaucoup de nos écrivains ont été gentlemen. En quoi le travail de ceux qui ne le sont pas - Blake ou Thomson par exemple - diffère-t-il de ceux qui le sont ? Comment quelqu'un comme William Morris peut-il être à la fois gentleman et marxiste ? De quelle manière la notion de gentleman, distillée dans toute la littérature (victorienne) a-t-elle commencée à perdre son sens originel ?

    Charles Dickens, comme Kipling, était un écrivain d'origine relativement modeste. Il désirait par dessus tout être reconnu comme gentleman et insistait par conséquent sur la grande dignité de son travail. Son roman Great Expectations (De grandes espérances) contient un grand nombre d'auto-analyses déguisées. Il est à la fois un portrait et une définition du concept de gentleman selon Dickens, ainsi qu'une explication du titre du roman. D'un autre côté, Thackeray insiste (et les deux vieux amis se querellaient à se sujet) sur le fait qu'un romancier ne pouvait pas être un gentleman. Le débat sur ce qui définissait un gentleman fit rage dans de nombreux domaines, mais nulle part il n'a été aussi virulent que dans la littérature victorienne elle-même, apparaissant dans des travaux aussi différents que le In Memoriam de Tennyson ou que les romans de Dickens et Thackeray.

    Finalement, on trouva un compromis : à la toute fin du siècle, il était presque universellement admis que celui qui recevait une éducation traditionnelle libérale, basée essentiellement sur le latin, dans une des publics schools de l'élite britanique - Eton, Harrow, Rugby et autres - pouvait être considéré comme gentleman, sans aucune considération concernant ses origines.
Était-ce un compromis afin de continuer à perpétuer le système de classe à la britannique?

David CODY,
Professeur agrégé d'Anglais, Hartwick College

*Code Chilvaric: Code de conduite associé aux chevaliers du Moyen-Age, en cours entre 1170 et 1220