Roger Moore |
jeudi 9 avril 2015
La revue britannique
Messieurs,
Voici un extrait de La Revue Britannique de 1857, revue qui traitait "d'un choix d'articles traduits des meilleurs périodiques de la Grande-Bretagne" (Vol.24) :
"Or, qu'est-ce qu'un gentleman ?
Question difficile. J'ai vu deux des meilleurs gentilshommes d'Angleterre placés dans une position médiocrement aristocratique, conserver leur tournure de gentilhomme. M. Huddlestone dinait chez le duc de Norfolk. Personne n’élèvera un doute sur la pureté du sang de ce dernier. Quand à l'autre, sa prétention à descendre en ligne directe du roi Saxon Athelstane était admise même par les généalogistes les plus épineux. La discussion soulevée vers la fin du diner avait cependant mis en contact et en lutte les ancêtres du Saxon et ceux du Normand. On s'anime, on s'échauffe. Tous deux soutiennent l'honneur de leurs pères et le descendant des Saxons, buvant fort sec, se retrouve définitivement sous la table.
"Allez mon neveu, dit le duc à l'un des plus jeunes membres de sa famille, rétablissez sur son trône le fils des rois qui vient de tomber."
Le jeune homme s'approcha en effet très-poliment et fut repoussé avec indignation par le gentilhomme, qui s'écria d'une voie que l'ivresse faisait chevroter :
"Non, il ne sera pas dit que le chef de la maison d'Athelstane sera replacé sur son fauteuil par le dernier rejeton de la famille des Howard !"
Le bon duc se mit à sourire et essaya vainement de se soulever de son siège :
"Mon vieil ami, s'écria-t-il, le chef de la famille des Howard est incapable dans ce moment-ci, attendu son état, de prêter secours au chef de la famille des Athelstane. Tout ce qu'il peut faire de mieux dans cette circonstance c'est d'aller s'asseoir par terre à côté de lui." Ce qu'il fit.
Laissons ces deux vénérables gentilshommes dans leur politesse et revenons au grand problème : "Qu'est-ce qu'un gentilhomme ?". Les italiens, livrés au sans façon de leur vie, ne le connaisse guère. Les américains ne le connaissent pas encore. Il faut trois générations pour faire un gentleman. L'orgueil de la race donne trop souvent aux vieux nobles une supériorité hautaine. Quant au parvenu, c'est le plus sot et le plus impertinent des nobles. Celui qui part très-bas et qui s’élève tout à coup éprouve, quand il entre dans le monde, une oscillation pénible, autant pour lui que pour les autres, entre son orgueil souffrant et sa timidité invincible. Ce mélange de fierté et d'humilité produit un effet insoutenable.
A Vienne, la race domine presque exclusivement. Dans cette ville de l'étiquette, l'existence d'un Brummel, homme qui fait régner la mode et que la mode fait régner, est absolument impossible : dans ce monde allemand , avant de prétendre être homme d'esprit et de bon ton, prouvez d'abord votre nombre de quartiers. Vous ne pénètrerez dans une certaine sphère que si vous descendez de Charlemagne. A l'Angleterre appartient d'une manière exclusive le titre de gentleman. En France, tout est confondu : Je suis vilain et très vilain , voilà le cri national de la France. A peine les analogues pâlissants du gentleman anglais se retrouvent dans quelques provinces écartées du faubourgs Saint Germain. Si Mm. Scribe et de Balzac disent vrai , quiconque peut se procurer une calèche loge aux italiens, loge à l'Opéra, cachemire et fourrure pour sa femme, se place en France parmi les hommes comme il faut. (....)"
Quaterly Review 1857
Voici un extrait de La Revue Britannique de 1857, revue qui traitait "d'un choix d'articles traduits des meilleurs périodiques de la Grande-Bretagne" (Vol.24) :
"Or, qu'est-ce qu'un gentleman ?
Question difficile. J'ai vu deux des meilleurs gentilshommes d'Angleterre placés dans une position médiocrement aristocratique, conserver leur tournure de gentilhomme. M. Huddlestone dinait chez le duc de Norfolk. Personne n’élèvera un doute sur la pureté du sang de ce dernier. Quand à l'autre, sa prétention à descendre en ligne directe du roi Saxon Athelstane était admise même par les généalogistes les plus épineux. La discussion soulevée vers la fin du diner avait cependant mis en contact et en lutte les ancêtres du Saxon et ceux du Normand. On s'anime, on s'échauffe. Tous deux soutiennent l'honneur de leurs pères et le descendant des Saxons, buvant fort sec, se retrouve définitivement sous la table.
"Allez mon neveu, dit le duc à l'un des plus jeunes membres de sa famille, rétablissez sur son trône le fils des rois qui vient de tomber."
Le jeune homme s'approcha en effet très-poliment et fut repoussé avec indignation par le gentilhomme, qui s'écria d'une voie que l'ivresse faisait chevroter :
"Non, il ne sera pas dit que le chef de la maison d'Athelstane sera replacé sur son fauteuil par le dernier rejeton de la famille des Howard !"
Le bon duc se mit à sourire et essaya vainement de se soulever de son siège :
"Mon vieil ami, s'écria-t-il, le chef de la famille des Howard est incapable dans ce moment-ci, attendu son état, de prêter secours au chef de la famille des Athelstane. Tout ce qu'il peut faire de mieux dans cette circonstance c'est d'aller s'asseoir par terre à côté de lui." Ce qu'il fit.
Laissons ces deux vénérables gentilshommes dans leur politesse et revenons au grand problème : "Qu'est-ce qu'un gentilhomme ?". Les italiens, livrés au sans façon de leur vie, ne le connaisse guère. Les américains ne le connaissent pas encore. Il faut trois générations pour faire un gentleman. L'orgueil de la race donne trop souvent aux vieux nobles une supériorité hautaine. Quant au parvenu, c'est le plus sot et le plus impertinent des nobles. Celui qui part très-bas et qui s’élève tout à coup éprouve, quand il entre dans le monde, une oscillation pénible, autant pour lui que pour les autres, entre son orgueil souffrant et sa timidité invincible. Ce mélange de fierté et d'humilité produit un effet insoutenable.
A Vienne, la race domine presque exclusivement. Dans cette ville de l'étiquette, l'existence d'un Brummel, homme qui fait régner la mode et que la mode fait régner, est absolument impossible : dans ce monde allemand , avant de prétendre être homme d'esprit et de bon ton, prouvez d'abord votre nombre de quartiers. Vous ne pénètrerez dans une certaine sphère que si vous descendez de Charlemagne. A l'Angleterre appartient d'une manière exclusive le titre de gentleman. En France, tout est confondu : Je suis vilain et très vilain , voilà le cri national de la France. A peine les analogues pâlissants du gentleman anglais se retrouvent dans quelques provinces écartées du faubourgs Saint Germain. Si Mm. Scribe et de Balzac disent vrai , quiconque peut se procurer une calèche loge aux italiens, loge à l'Opéra, cachemire et fourrure pour sa femme, se place en France parmi les hommes comme il faut. (....)"
Quaterly Review 1857
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